Parmi toutes les avancées passionnantes que nous avons vues en médecine cette année j’aimerais vous proposer de revenir sur l’une d’entre elles : le dépistage du cancer du poumon.
Le contexte : Le cancer du poumon est la première cause de mortalité par cancer en France et dans le monde. Chaque année dans l’Hexagone, ce sont près de 50 000 nouveaux cas qui sont diagnostiqués et 30 000 patients qui décèdent. Le pronostic est donc sombre avec une survie à 5 ans inférieure à 20 %, la grande majorité des cancers étant diagnostiquée à un stade avancé de leur progression.
Bien que la cause principale, l’exposition tabagique, soit connue et combattue, 17 à 28 % de la population fument toujours activement. La disparition à moyen terme de ce problème majeur de santé publique semble donc peu probable.
Face à ce constat sévère, la piste du dépistage dans une population à risque semble ouvrir des perspectives encourageantes. En effet, si les cancers symptomatiques correspondent souvent à un stade IV au moment du diagnostic, la détection d’un cancer de stade I/II est associée à une survie de l’ordre de 80 %.
Les solutions : C’est dans ce contexte que l’étude nord américaine NLST (National Lung Screening Trial) publiée en 2011 a montré une réduction de 20 % de la mortalité en pratiquant un dépistage systématique par scanner pulmonaire basse dose. L’enjeu pour le radiologue consiste à détecter les cas précoces sous la forme de nodules pulmonaires mesurant plus de 4 mm. Mais si l’étude a débouché aux USA sur des recommandations en faveur du dépistage celui-ci reste relativement peu appliqué. Pourquoi ?
D’abord la diffusion de cette information auprès de la population à risque aux USA par des médecins généralistes, eux-mêmes peu sensibilisés à ce sujet, s’est révélée difficile. Ensuite le taux de faux positifs engendré par la méthode utilisée (mesure du grand diamètre du nodule) est un frein à l’adoption. En effet avec un seuil de positivité à 4 mm, 24 % des scanners sont positifs mais seulement 3,6 % de cancer s’y trouvent …
Ces constatations, combinées à l’existence d’études à faibles effectifs aux résultats jusqu’ici peu probants en Europe, expliquent pourquoi peu de sociétés savantes européennes s’étaient prononcées jusqu’ici en faveur du dépistage.
Mais tout a changé en janvier 2020 …
En effet c’est la date de publication de la très attendue étude Néerlando-Belge NELSON qui valide en Europe la stratégie de dépistage du nodule pulmonaire par détection et mesure volumique du nodule pulmonaire en scanner basse dose.
Le résultat principal de cette étude, publiée dans le New England Journal of Medecine, montre une réduction de 24 % de mortalité chez les hommes et 33 % chez les femmes, confirmant les résultats de l’étude NLST. Et surtout le taux de surdiagnostic (faux positif) tombe à 10 %, bien inférieur au nombre de vie sauvées.
Ce faible taux est atteint grâce à la mesure tridimensionnelle du nodule qui permet de calculer précisément son temps de doublement entre deux examens. Ce temps de doublement est un “biomarqueur” bien plus pertinent que la simple mesure unidimensionnelle du nodule pour séparer les nodules malins des bénins. En effet, les petits cancers ont des vitesses de croissance nettement plus grandes que les nodules bénins.
Pour paraphraser l’éditorial du NEJM, les doutes quand à l’intérêt du dépistage devraient donc être écartés par cette étude.
Alors que va-t-il se passer ? Progressivement, les pays européens vont mettre en place des politiques de dépistage. Concrètement, les radiologues devront organiser des vacations de scanner dédiées à la recherche de ces nodules pulmonaires dans une population cible. Dans un contexte de pénurie médicale et d’augmentation constante des besoins d’imagerie, la charge supplémentaire qu’entraînera ce dépistage peut être problématique. C’est précisément à cet endroit que les outils d’intelligence artificielle vont nous aider : détecter les nodules puis les segmenter et comparer leurs volumes automatiquement. Pour un humain, il s’agit d’une tâche répétitive, sujette à erreur et sans valeur ajoutée intellectuelle forte. Or les outils modernes du deep learning comme la solution Veye Chest de la société Aidence peuvent l’automatiser.
De nombreuses questions s’ouvrent à nous : Quelle est la meilleure population cible pour réaliser ce dépistage ? Quel est l’impact médical et médico-économique sur cette population ? Comment évaluer la qualité de nos outils d’intelligence artificielle sur le terrain, en situation de routine clinique ? Autant de questions passionnantes auxquelles, chez Incepto, nous commençons à répondre avec les acteurs de terrain dans plusieurs sites en France.
Pour un médecin de ma génération, les principaux programmes de dépistage étaient déjà en place quand nous avons commencé nos études à la toute fin du siècle dernier : Cancer du col dans les années 60, cancer du sein en 1976 (ACR) … Assister à la naissance d’un programme de dépistage à grande échelle du plus mortel des cancers et pouvoir y participer est particulièrement enthousiasmant et engageant.
Il reste à souhaiter que nos institutions en charge de la santé publique accompagnent les dynamiques régionales, nationales et pourquoi pas européennes pour que les populations à risque aient rapidement accès à cette médecine préventive.
Références :
- The National Lung Screening Trial Research Team. Reduced
- Reduced Lung-Cancer Mortality With Volume CT Screening in a Randomized Trial, N Engl J Med 2020 Feb 6;382(6):503-513.
- https://www.cancer.org/cancer/cancer-basics/history-of-cancer/cancer-causes-theories-throughout-history11.html
- Estimations nationales de l’incidence et de la mortalité par cancer en France métropolitaine entre 1990 et 2018 Étude à partir des registres des cancers du réseau Francim https://www.e-cancer.fr/content/download/266013/3752411/file/Estimations_incidence_mortalite_cancer_France_1990_2018_tumeurs_solides_mel_20190702.pdf
- Collège des Enseignants de Pneumologie – 2018, ITEM 306 http://cep.splf.fr/wp-content/uploads/2018/09/item_306_CANCER_2018.pdf
- Fondation pour la recherche médicale https://www.frm.org/recherches-cancers/cancer-du-poumon/le-cancer-du-poumon-en-chiffres