Le contexte : Au cours de sa vie, une femme sur huit sera atteinte du cancer du sein, la premiere cause de décès par cancer en France et le cancer le plus fréquent chez la femme.
Créé en France en 1994 et généralisé en 2004, le dépistage organisé du cancer du sein a pour but de réduire la mortalité et les traitements lourds en détectant et traitant les cancers précocement ; diagnostiqués tôt, le taux de survie du cancer du sein s’affiche à 99%.
Ce système, qui s’adresse aux femmes de 50 à 74 ans, les invite à participer tous les deux ans à une examen de dépistage en deux parties: une première lecture, une mammographie bilatérale en deux incidences (face et oblique) analysée par un radiologue, suivie d’une deuxième lecture si la mammographie est négative.
Aujourd’hui, 26 ans après l’inauguration du dépistage organisé, prenons du recul—et réfléchissons à notre système de dépistage étant donné les changements dans le monde de la médecine.
Les résultats sont positifs : les tumeurs dépistées mesurent maintenant 1,5 centimètres, en moyenne, comparé à plus de 3 centimètres dans les années 1960. En découvrant des cancers à un stade précoce, le dépistage permet aux femmes de subir des traitements moins lourds et leur donne une chance de survie à 5 ans de 99%. Depuis les années 1990, le taux mondial de mortalité par cancer du sein a baissé régulièrement grâce à la mise en place de systèmes de dépistage, passant de 20,2 pour 100 000 en 1990 à 15,7 pour 100 000 en 2012. En France plus particulièrement, le taux de mortalité a diminué de 1,5% par an en moyenne entre 2005 et 2012, et continue de baisser d’année en année.
Mais des questions importantes font surface. Comment réduire l’inquiétude créée par les résultats dits “faux positifs” ? Faut-il avancer l’âge minimal du dépistage à 40 ans ? Et, plus déconcertant : pourquoi est ce-que seulement 52% des 4,3 M de femmes concernées participe au dépistage organisé ?
Ces questions, et les débats qui s’ensuivent, ne sont pas récents ; tous les ans, l’initiative #OctobreRose entraîne la diffusion de campagnes éducatives, d’études scientifiques, de récoltes de fonds et de débats sur le dispositif. Et ces initiatives ne se limitent pas à la France; le dépistage du cancer du sein suit des principes communs dans toute l’Europe, mais souffre partout d’un taux de participation trop faible.
Certains acteurs Européens ne fuient pas la polémique. Fin octobre 2018, le Syndicat des jeunes médecins généralistes (SNJMG) dénonce Octobre Rose, l’appelant un « naufrage de la santé publique » et citant une revue de 2013 du Cochrane Breast Cancer Group qui conclut que le dépistage ne réduit pas la mortalité du cancer du sein. Dix jours plus tard, le professeur Laurent Lantieri, en réponse à un article du Parisien du président de l’Institut national du cancer (INCa) présentant les points positifs du dépistage, partage via Twitter une étude du British Medical Journal démontrant l’inefficacité de la détection de masse par mammographie au Pays-Bas.
Les débats s’approfondissent davantage au niveau personnel. Sur 2000 femmes se faisant dépistées lors d’une période de dix ans, plus de 200 recevront des résultats faussement positifs et devront se soumettre à plusieurs examens additionnels, créant de l’anxiété et de l’inquiétude. Et l’épreuve émotionnelle subie par toutes les patientes lors du dépistage n’est pas négligeable, étant donné qu’elle a lieu tous les deux ans et que les délais entre les examens et les résultats prennent, en moyenne, deux semaines.
Mais le dépistage organisé est un système humain, bien intentionné, et conséquent – un système qui est, selon la Haute Autorité de Santé, « en constante progression ».
Pourquoi alors ne pas tenter, ensemble, de l’améliorer,
au travers de quelques pistes prometteuses ?
La première est une amélioration purement technique: la tomosynthèse, ou tomo. Déconseillée par la HAS, cette technique est une modalité d’imagerie médicale spatiale permettant de projeter la totalité du volume du sein en 3D à des niveaux de dose similaires à la mammographie. Bien qu’elle ne soit mise en place dans aucun système de dépistage national, la tomo est néanmoins utilisée par certains programmes de dépistage individuels, surtout aux Etats-Unis où elle a été approuvée en 2016 par la Food and Drug Administration pour utilisation dans le dépistage du cancer du sein. La tomo détecte 30% de cancers de plus que la mammo et, selon une étude italienne de 2018, 90% de plus en combinaison avec la mammo numérique seule. Elle aide aussi à éviter les résultats faux positifs. Mais en pratique elle nécessite l’investissement dans des équipements récents et est coûteuse en temps de lecture. Il est surtout difficile de mesurer les bénéfices de cet examen développé si récemment.
Une deuxième piste : repenser la deuxième lecture, qui détecte, en moyenne en France, 9% des cancers. Obtenir une deuxième analyse de la mammographie est indispensable : la fatigue, l’erreur de l’oeil humain, sont inévitables. Mais il est tout de même concevable de rendre les lectures plus efficaces, et réduire le délai de deux semaines entre l’examen et les résultats. Dans un monde où deux personnes peuvent avoir une conversation en temps réel entre Paris et New-York, pourquoi attendre deux semaines que les images de la première lecture se fassent transmettre d’une clinique à l’autre sur films et par courtier? Les premiers résultats des applications d’IA publiés dans des grandes revues sont très positives et laissent augurer un rôle important pour ces solutions, peut être en substitution de la seconde lecture, dans des proportions importantes. La transformation numérique pourrait trouver sa place dans le monde de la médecine en tant que complément de l’oeil humain.
La troisième piste fait partie d’une réflexion plus globale sur la structure et l’efficacité du système actuel. En effet, le dépistage organisé a un concurrent qui monte en puissance : le dépistage individuel, favorisé par 10-15% de femmes en France. Ce dernier repose sur un système centré autour du médecin : celui-ci propose l’examen a une population ciblée, en s’adaptant donc aux différents profils. Plus précis et personnalisé, le dépistage individuel est majoritairement utilisé par les femmes de moins de 50 ans et est basé sur le risque individuel de cancer du sein de la patiente, prenant en compte les facteurs génétiques, le mode de vie, l’exposition hormonale et bien d’autres facteurs. Si le dépistage organisé est universel, à taille unique, le dépistage personnalisé est un système sur mesure.
L’étude MyPeBS (My Personal Breast Screening), un projet international financé par l’union Européenne, a comme objectif d’améliorer les systèmes de dépistage actuels en proposant des mammographies plus fréquentes (tous les ans) aux femmes à plus haut risque et moins fréquentes (tous les 4 ans) aux femmes à bas risque. Le projet étudie aussi le vécu personnel des 85000 femmes participant à l’étude en prêtant attention aux inquiétudes particulières des femmes connaissant leur niveau de risque individuel.
Bien que la voie vers un dépistage personnalisé—la médecine du futur—commence tout juste à se dessiner, les nouvelles technologies comme la tomosynthèse et l’IA peuvent l’aider à s’ouvrir en accélérant ces transformations. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, le taux de participation au dépistage organisé du cancer du sein doit être à au moins 70% pour que la mortalité baisse significativement. En agissant ensemble—radiologues, chercheurs, ingénieurs et patients—cet objectif deviendra réalisable.