Tous les ans, 500,000 femmes dans le monde succombent au cancer du sein. Un chiffre trop élevé, que l’on doit s’attacher à réduire. Mais comment faire ? Le dépistage organisé du cancer du sein est la réponse sociétale primordiale à ce taux de mortalité élevé, réponse qui, selon une étude publiée en septembre 2020 dans le journal European Radiology, cherche à trouver “l’équilibre entre les bénéfices, les dommages, et les coûts pour la société” (Rodriguez-Ruiz et al.). Bien que depuis son instauration en 1994, le dépistage national français se soit montré efficace, de nombreux axes d’amélioration nécessaires—que nous avons explorés dans un article précédent—sont apparents dans la vie de tous les jours des praticiens. Ce sont eux, médecins et patients, qui sont en première ligne.
La démographie croissante et vieillissante face à une population de radiologues constante, fait du dépistage en double lecture un facteur aggravant de la charge de travail des radiologues, soumis à des cadences de lecture parfois dangereuses. Selon une étude publiée en 2018 dans la prestigieuse revue Radiology, jusqu’à 25% des cancers visibles sur la mammographie ne sont pas dépistés à cause de la fatigue et du manque de concentration. Le surmenage contribue également aux fausses alertes, induisant anxiété et rejet parfois même du dépistage par les femmes concernées.
Les enjeux sont donc majeurs, mais il y a des solutions. Grâce aux avancées exponentielles, ces dernières années, de la technologie et de la puissance de calcul informatique, “la nouvelle intelligence artificielle [le deep learning] peut transformer la performance des radiologues”, là ou le CAD (Computer Aided Diagnostic) traditionnel avait échoué (Rodriguez-Ruiz et al.). L’IA, en tant qu’aide au diagnostic, complémente et augmente les capacités du radiologue, lui donnant réassurance et rapidité ainsi qu’un filet de sécurité.
Quelles sont alors les promesses portées par cette révolution technologique ?
L’IA contre le cancer de l’intervalle
Les cancers de l’intervalle—cancers qui se développent dans le laps de temps entre deux sessions de dépistage—représentent près de 20% des cancers du sein, et ont un pronostic, en moyenne, moins favorable que les cancers dépistés. Ce sont des cancers souvent agressifs d’évolution rapide, échappant au dépistage. Mais il existe aussi des “faux” cancers de l’intervalle, ou plutôt des cancers qui, bien qu’étant visibles sur la mammographie lors du premier examen, n’ont pas été arrêtés par les radiologues. Parfois, la tumeur était visible mais paraissait bénigne; parfois, le cliché était de mauvaise qualité, ou parfois encore, les radiologues surmenés n’ont simplement pas vu la lésion subtile. L’IA, grâce à sa précision même dans les cas les plus opaques, peut aider à rattraper ces erreurs.
Ci-dessous, un exemple de cas qui a été jugé normal lors d’un examen de dépistage. Deux ans après, la patiente a développé un carcinome canalaire infiltrant. Or, l’IA a qui l’on soumet cette image de manière rétrospective, lui attribue le score de risque le plus élevé et repère les zones suspectes.
Fig. 1 – Examen négativé en dépistage; la patiente développe un carcinome canalaire infiltrant dans l’intervalle (ScreenPoint Medical)
Quelques études rétrospectives sont encourageantes. Des premiers travaux publiés lors de la conférence européenne de radiologie, l’ECR en 2020, montrent que l’algorithme Transpara aurait arrêté entre 31 et 37% des cas à la session de dépistage précédent l’apparence des symptômes. Une autre étude va même plus loin, mettant en lumière que le score 10 de l’algorithme, c’est a dire le plus élevé de risque, semble être un facteur prédictif de cancer de l’intervalle. En effet, dans un groupe de cancers diagnostiqués en dépistage, 38% avaient déjà un score 10 trois ans auparavant ! L’IA pourrait donc contribuer à prédire et donc réduire le nombre de cancers de l’intervalle. Le temps pour des études prospectives est sans doute arrivé.
Un compagnon de confiance
Des études montrent déjà que les performances diagnostiques de radiologues généralistes et même sénologues, peuvent être améliorées grâce à l’IA. Dans une étude sur ce même algorithme, un groupe de radiologues seuls et et un groupe de radiologues aidés par l’algorithme ont analysé 240 mammographies de femmes de 39 à 89 ans n’ayant aucun symptôme, les divisant en trois groupes: positifs au cancer, négatifs, et faux positifs. Les résultats de l’étude démontrent que les radiologues avec l’aide de l’IA (SSC – surface sous la courbe – de 0.89, 1 représentant une probabilité parfaite) sont plus performants, en moyenne, que les radiologues sans IA (SSC 0.87).
Dans l’exemple ci-dessous, l’examen d’une femme de 61 ans suivie dans le cadre du dépistage a été attribué un score 4, signalant un niveau de risque relativement faible. Le radiologue, rassuré par ce score, a confirmé en toute confiance qu’il n’y avait aucune lésion suspecte.
Fig. 2 – Femme de 61 ans; Transpara score 4, aucune lésion suspecte (ScreenPoint Medical)
L’IA, entraîné via deep learning sur une base de données de plus d’un million d’images, agit donc comme un compagnon du radiologue, apportant un second avis et une réassurance lors de son diagnostic.
Un filet de sécurité
“Le système d’IA idéal devrait être aussi performant que les limites de la modalité d’imagerie lui permettent d’être,” affirme une étude publiée en 2019 dans le journal du National Cancer Institute. Idéalement, l’algorithme pleinement exploité est donc aussi performant que le meilleur radiologue; toutes ses erreurs sont dues à la déficience de l’image plutôt qu’à un détail manqué. Aujourd’hui, ce n’est pas encore le cas : comparé à 101 radiologues analysant 9 cohortes d’examens provenant de 4 fabricants différents, l’algorithme seul (SSC 0.84) était plus performant que 61,4% des radiologues (SSC 0.814) et sa sensibilité plus élevée que 62/101 d’entre eux. En revanche, la même étude montrait que quelque soit le type de lésion, le pays, ou le modèle du mammographe, l’algorithme était toujours moins performant que le meilleur des radiologues. Cela est amené à changer, avec des algorithmes qui continuent sans cesse de s’améliorer, la prise en compte des examens antérieurs, et d’éléments cliniques, comme le ferait un radiologue. Déjà actif comme un véritable filet de sécurité, en fin de vacation or lors que le radiologue est dérangé dans sa lecture, l’IA offre une aide constante.
Cette image d’examen d’une femme de 59 ans a été attribue un score 10 par l’algorithme, signalant au radiologue qu’elle avait de fortes chances de contenir une anormalité. En effet, dans ce sein dense se trouvaient plusieurs lésions et tumeurs dans les régions signalées par l’IA.
Fig. 3 – Femme de 59 ans; Transpara score 10. Right breast ± 9.30 o’clock IDC; left breast DCIS (ScreenPoint Medical)
Un véritable gain de temps et d’énergie
Dans le cadre du dépistage, les radiologues sont amenés, et c’est logique, à relire un très grand nombre de mammographies normales. Non seulement fastidieuse et longue, cette tâche ne contribue pas à accroître leur expertise. En effet, comme l’affirme l’étude, c’est bien le fait d’être exposé à une grande variété de formes de lésions, qui aguerri l’œil de l’expert à détecter des lésions subtiles. Or, les performances toujours croissante de l’IA et sa forte valeur prédictive négative, c’est à dire sa capacité à affirmer avec confiance qu’une mammographie est normale peuvent permettre de réaliser un tri préliminaire des mammographies normales, par exemple en ne destinant à une double lecture que les examens les plus suspects, et réservant une lecture simple aux examens jugés normaux par la machine.
L‘étude de 2020 de European Radiology, propose ce schéma : utiliser l’AI pour identifier automatiquement les examens normaux. Le radiologue aurait donc plus de temps à consacrer aux cas complexes. Dans cette étude rétrospective, un groupe de radiologues relut uniquement les cas avec des scores de 2 ou plus, entrainant une diminution hypothétique de 17% de la charge de travail. Dans cette hypothèse, 1% de cancers auraient été manqués par la machine, mais étonnamment, ces mêmes cancers sont également loupés par le groupe de radiologues témoins ! Il est donc sans doute possible de réduire la charge de travail dans le dépistage organisé sans en altérer sa performance.
Plusieurs études ont démontré dors et déjà que aidés de l’IA, les radiologues pouvaient lire plus vite, sans dégrader leurs performances diagnostiques (L’étude du RSNA, étude iCAD). De façon remarquable, les gains de temps interviennent d’abord sur les cas scorés peu à risque, laissant plus de temps au radiologue pour analyser les cas complexes. De même, l’utilisation de la tomosynthèse, connue pour augmenter la sensibilité au prix d’une lecture plus longue, voit ses temps de lecture réduits de 40 à 50% grâce à l’utilisation de l’IA.
Fig. 4 – Cas normal en dépistage confirmé par suivi à 2 ans. Lu 41% plus vite grâce à l’aide de l’IA (28s) (ScreenPoint Medical)
En agissant comme une deuxième paire d’yeux, l’IA permet au radiologue de gagner du temps, d’avoir confiance en ses diagnostics, et de repérer avec précision les anomalies, même dans les cas les plus complexes. Ce temps et cette énergie peuvent le libérer pour accompagner avec humanité et sérénité, dans des moments difficiles, patientes et participantes au dépistage.